Margot de Jubécourt
romans d'espérance
Émeline, Fatou, Antoine : trois passagers d'un même train... Trois solitudes qui s'ignorent, trois quêtes silencieuses qu'un incident rapproche brutalement.
Peut-on tirer quelque chose de bon d'une situation perdue ?
Et si parler, s’ouvrir à son voisin, suffisait à dénouer l'essentiel… et à résoudre l'énigme d'une vie qu'on ne comprend plus ?
Entre les collines iséroises, chacun cherche son chemin. Alors qu’Émeline s’effondre, Fatou décide de se battre, et Antoine plonge dans son passé.
Déjà, leurs histoires sont liées et se répondent. Sauront-ils unir leurs forces pour retrouver leurs amours perdues ?
Roman feel-good - 16 à 160 ans
Autoédition 2022 - 15€
Disponible en e-book
La plume est fine, légère, mais presque poétique, même si l’histoire aborde des thématiques difficiles. Les héros sont forts, mais ils le sont parce que leurs faiblesses sont exposées, sans en faire trop.
Charlène Gros-Piron - L'Eden des rêves
Ce feel-good fait un bien considérable au moral. L'écriture est envoûtante, j'ai passé un super moment !
Anaïs - La bibliothèque de bichette
J'ai bien souri et bien pleuré ! Cette histoire est très riche, beaucoup de valeurs, de notions essentielles.
Anne - Bêta-lectrice
QUAI DES CONFIDENCES
"Parler de ses peines, c'est déjà se consoler."
Albert Camus
1.
Vertiges
Jordi n'est pas là.
Émeline vérifie l'horloge de la gare. L’heure est largement dépassée. Elle allume son téléphone. Elle a tenté de joindre Jordi une dizaine de fois, lui a laissé cinq messages depuis qu’elle est arrivée à la Part-Dieu... L’appareil reste silencieux.
Ce n’est pas nouveau. Ça fait une semaine que Jordi déserte l’internat, qu’il laisse les appels et les messages d’Émeline sans réponse. Même les plus beaux mots d’amour, les promesses, les demandes de pardon. Une semaine qu’Émeline ne dort plus, qu’elle sursaute àchaque notification sur son téléphone, qu’elle se débat avec ses espoirs et ses angoisses.
L’écran du téléphone s’est éteint. Elle le rallume.
Toujours rien.
Ses yeux s'embuent, elle crispe la mâchoire.
Depuis une heure, elle guette les escaliers qui débouchent sur le quai. Elle s'arrête sur toutes les silhouettes : est-ce lui ? Elle s'éblouit à lesdétailler, dans le contre-jour du soleil de juin. À chaque fois qu’elle croit reconnaître Jordi, l’espoir ressurgit : le voilà enfin !
Cette pensée ne durequ’une seconde, le temps que la silhouette s’approche et prenne les traits d’un inconnu. Non, ce n’est pas Jordi. La déception noue le ventrede l’adolescente, un peu plus à chaque fois.
Déjà, elle a laissé partir le train qu’elle devait prendre. Jordin'a pourtant pas pu se tromper d'heure, de lieu. Le message qu'elle lui a envoyé est très clair.
Je suis à la Part-Dieu, sur le quai D. Je prends le train de dix-huit heures cinquante. Tu peux me rejoindre?
Il est maintenant dix-neuf heures dix. Elle a dû changer de quai pour attendre le train suivant, en luttant contre ses larmes. Elle en a bien sûr profité pour appeler Jordi une fois de plus. Lui laisser encore un message.
Le prochain train arrive à dix-neuf heures seize, tu seras là ? Réponds-moi s’il te plaît, mon amour, c’est important.
Le train arrivera dans quelques minutes. Jordi n’a pas essayé de joindre Émeline. Le doute n'est plus permis.
Il l'a abandonnée.
L’adolescente recule contre un pilier, les yeux brillants de larmes et d’angoisse. S’il la délaisse, lui qui l’a bercée de mots d’amour, c’est que tout est perdu. Personne ne l’a aimée aussi intensément. Puisqu’il l’abandonne, les autres feront de même.
Et s’ils avaient raison ?
Le monde, brusquement, passe de la blancheur du soleil au noir du fond de gouffre. À quoi bon vivre si elle en est indigne ? À quoi bon se battre et se débattre si elle ne compte pour personne ?
Émeline se sait fragile dans ces moments d’abîme. Plusieurs fois, des pulsions de mort l’ont envahie, toujours après des ruptures difficiles. Elle y a cédé deux fois. Pour Adrien, un grand brun ténébreux, elle a voulu sauter d’une fenêtre de l’école. Pour Ahmed, un Marocain à la peau dorée, elle a mis la tête dans le four de ses parents pour tenter l’intoxication au gaz. Elle a eu peur à chaque fois, et n’est pas allée au bout de ces tentatives.
Aujourd’hui, c’est différent. L’histoire est allée plus loin. La honte, la peur s’ajoutent au chagrin... Ce cocktail pourrait bien donner plus d’audace à Émeline dans ses prises de risque.
Saisie de vertiges, elle s’adosse au pilier. Le soleil lui brûle les yeux, la peau, la gorge. La chaleur, la lumière : tout lui semble trop intense pour un premier jour de juin. Sur le quai, les usagers se pressent, défilent, trébuchent sur son sac de voyage. Ils parlent fort, entre eux ou à leur téléphone ; leurs paroles s’emmêlent dans un brouillard confus, dominé par un acouphène strident. Les images vacillent, troublant l’équilibre de la jeune fille.
Émeline se laisse glisser le long du pilier pour reprendre pied. Elle s’assied sur le goudron sale, où se déverse un mince filet d’eau. Elle se relève en sursaut, les fesses mouillées.
Une fois de plus, elle est à la mauvaise place.
Étourdie par ce mouvement brusque, elle heurte le pilier de sa tête. Ses lèvres tremblent. La douleur physique n’est rien face à cette nouvelle humiliation. Elle se sent petite, insignifiante… écrasée par le monde entier. Elle étouffe un sanglot, avance d’un pas et s’assied à nouveau.
De la poche de son jean, elle sort un mouchoir et un portrait de Jordi. C’est une photo d’identité ratée. Crâne rasé, mèche blonde sur le front, Jordi porte trois bijoux : une boucle argentée à l’oreille gauche, et deux yeux bleu-revolver. Pour se venger de lui, Émeline jette l’image au sol et l’écrase sous son pied. Comment peut-il si facilement la laisser tomber, sans un mot, sans une explication ?
L’a-t-il vraiment laissée tomber ?
Elle n’arrive pas à y croire. Il est peut-être retenu quelque part, après tout. Ou malade, comme il en a informé l’internat. Comment savoir, puisqu’il ne répond pas ?
Elle récupère la photo, la nettoie, la glisse dans sa poche.
Elle se mouche, pose le front sur ses genoux repliés.
Les larmes lui viennent à nouveau.
Non, bien sûr, ses espoirs sont vains. Elle le sait, au fond d’elle-même. Elle le sait depuis presque une semaine.
Elle essuie ses larmes l’une après l’autre, épuisée par la tension accumulée. Depuis des jours, elle tourne et retourne les événements dans sa tête.
Sa seule solution, son seul courage, c’était Jordi.
La désertion de son copain la plonge dans le scandale.
Elle fixe le regard sur les rails. Leurs lignes parallèles brillent au soleil. Un soleil agressif qui lui donne la migraine.