

Quand il apprend que son père est mourant, Clément hésite. Rejoindra-t-il son chevet, risquant ainsi la paix fragile qu’il a construite loin des siens ?
Michel Landry, célèbre chanteur, a le monde entier autour de lui. Il ne manque que son fils cadet à ses côtés.
Dans le village de Louvère, où chacun se connaît et s’entraide, le silence bâillonne pourtant le passé… Ce temps où Clément, enfant, a basculé dans le mensonge de toute une vie.
Roman psychologique
- 16 à 160 ans
Autoédition 2025 - 18€
Disponible en e-book
Tout notre être vibre avec les personnages, c’est très puissant ! Une belle manière de tourner les mots, de faire danser les images.
Charlène Gros-Piron - L'Eden des rêves
Des phrases frappantes, belles, pleines de vérité et d’émotion.
Calysia Pena - chroniqueuse
Très fort, profond, poétique, incarné, et fluide dans la narration.
Maylis - Bêta-lectrice
LA PARTITION DU SILENCE
"L'enfant est le père de l'homme."
William Wordsworth
Prologue
J’ai menti. Toute ma vie, j’ai menti.
Ce fut la question d’un instant. Un moment de silence, une hésitation qui dura un peu trop. La peur panique d’être découvert sans être protégé. Le cauchemar d’un enfant devenu le mensonge d’une vie.
C’est moi qui ai menti, mais j’en veux à tout le monde.
J’étais un enfant vibrant, libre, rieur. Personne n’a vu ma joie se briser en larmes.
J’étais gâté, aimé. J’avais tout : les jeux à la mode, l’admiration de mon père, la plus belle maison du village, un frère jumeau adoré, des rêves fous et les moyens de les accomplir. Il ne m’a manqué qu’une chose : la protection des adultes qui m’entouraient.
Un seul de leurs gestes, une seule de leurs paroles auraient pu me sauver. Leur silence m’a enfermé dans une prison dont la clé s'est perdue.
J’avais dix ans. J’en ai vingt-quatre aujourd’hui. Il n’y a pas un jour où je n’ai eu envie de rétablir la vérité, pas un jour où je n’ai voulu déchirer le voile de ce mensonge. Chaque soir, épuisé par le poids de ce joug, je me suis retourné vers l’enfant que j’étais, et j’ai cherché une solution.
Mais le temps passe. Les heures nouvelles ajoutent leur poids au mensonge. Elles le transforment en vérité aux yeux du monde. Parler, après tant d’années, ce n’est pas seulement briser mes chaînes. C’est faire voler ma vie en éclat. Trahir mes proches, réveiller leur colère, affronter les monstres du passé.
J’ai peur.
Alors, chaque soir, me souvenant des enfants joyeux que nous étions, mon frère jumeau et moi, je baisse les yeux pour éviter leur regard. Je leur demande pardon. Je leur dis « C’est trop tard, nous sommes condamnés. Demain, essayons de vivre avec ça. »
Et j’avale des somnifères.
1.
Une question d'heures
C’est Edgar qui m’a prévenu.
J’étais sur les toits avec Markus et Nikolaï. C’était un beau chantier, sur une église écrasée par le soleil d'août. Nous posions les dernières tuiles, les dernières touches de gris sur un toit d'ardoise flambant neuf. La chaleur nous liquéfiait, et depuis quelques heures déjà nous économisions nos paroles. Nikolaï, notre apprenti, travaillait près de moi. Nous nous comprenions d’un geste. Une hésitation, une main levée, et je l’aidais à ajuster l’ardoise.
Malgré le poids de l’été, j’étais presque heureux. Il y a des moments de grâce où l'on se prend à la joie de fouler les plafonds. Ce chantier, nous l’avions attendu, préparé, soigné… Panser les plaies d’une église ! Peu importent ma vie, ma foi, j’ai toujours trouvé grande l’idée de mêler notre effort à celui de nos ancêtres pour restaurer les vieilles pierres.
Nous mesurions nos gestes pour qu’ils soient précis, efficaces, et je me demandais en moi-même si je n’avais pas choisi ce métier pour ça : réparer ce qui est brisé, préserver le sacré dans ma vie dissolue.
J’ai pensé à mon amie d’autrefois, Angélique, à ses réflexions philosophiques. « Tant qu’il y aura une église dans le monde, il y aura une route vers le ciel. » Son portrait de petite fille s’est dessiné dans mon esprit : des cheveux roux, un nez en trompette, des lèvres pâles, une foule de taches de rousseur. Un sourire à illuminer une vie entière.
Sourire qui manquait à nos dernières rencontres, alors qu’adolescents, nous commencions à comprendre la signification du mot « regrets ».
C'est à ce stade de ma réflexion que mon téléphone a sonné. Une fois. Je suis tombé du nuage de mes pensées, j’ai atterri sur mes ardoises. Deux fois. J'ai pris une vis entre mes lèvres pour l'enfoncer dans la faîtière. Trois fois. J’ai tenté de faire abstraction du carillon agressif. J’ai montré du doigt une autre faîtière que Nikolaï m’a passée, je l’ai posée à la suite. Sept fois… et le silence enfin… J'ai cherché deux vis et un crochet, fixé, tapé. La sonnerie a repris.
— Mais c'est pas vrai ! Ça va pas s'arrêter.
— C'était pas la peine d'apporter ton détecteur de tuiles, Landry ! s'est esclaffé Markus. On sait qu'y en a partout !
— Je descends. Ces appareils, ils vont nous tuer.
J'ai laissé Nikolaï rejoindre Markus. J’ai prudemment rejoint l’échafaudage, puis la terre ferme. J'ai détaché mon harnais, et Tobie, le chien de Markus, m'a tourné autour en jappant. J'ai rejoint l'ombre d'un grand chêne, attrapé une bouteille d'eau au sol. J’ai décroché.
— C’est Papa, a dit la voix. Il est à l’hôpital. C’est grave.
Ça ne pouvait être qu’Edgar. J’ai laissé le harnais tomber au sol. Je me suis assis entre les racines de l'arbre, et le chien est venu poser sa gueule sur ma cuisse. Mon frère a continué.
— Y a eu une tempête à Louvère. Papa était dehors. Il a reçu une branche sur la tête.
J’ai englouti une demi-bouteille d’eau. J'ai enfoui la main dans le poil du chien.
— Qu’est-ce qu’il faisait dehors ?
— J’en sais rien, Clément ! J’en sais rien et c’est pas le problème, putain.
Sa voix tremblait. J'ai enfoncé un peu plus ma main dans la fourrure de Tobie. Je l'ai regardé dans les yeux. A-t-il senti que j'avais peur ?