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Lettre de Yann Valois à Eliott

  • Photo du rédacteur: Margot de Jubécourt
    Margot de Jubécourt
  • 19 sept.
  • 3 min de lecture

Eliott, mon fils,


Je prends la plume, pour une fois, avec l'espoir que mes mots seront plus habiles que quand j'essaie de te parler.


J'ai sous-estimé le pouvoir des barreaux de prison. On les croit ronds, suffisamment espacés pour laisser passer la lumière. Ils sont tranchants, opaques. Ils ne se contentent pas de nous séparer, ils nous divisent.


J'aurais aimé te transmettre ce que je porte de plus beau.

Je crois que j'ai réussi à le faire, les premières années.

L'amour de la vie, de l'art, la joie des moments simples... et que cette joie te protège des moments plus difficiles, et que ces amours te donnent toujours une raison d'exulter : voilà ce que nous voulions pour toi, Maman et moi.

On souhaite toujours le plus beau à son enfant, Eli.


Et puis, on oublie.

On oublie le miracle de la vie qui dessine un enfant dans le ventre d'une femme.

On oublie la délicatesse du nouveau-né, la fragilité de l'être humain.

On l'oublie tous.


Je t'ai donné le meilleur de moi-même, et puis je t'ai montré le pire.

Je ne t'ai jamais demandé pardon pour cet effondrement.

J'ai cru pouvoir faire semblant.


Aujourd'hui, je le sens dans ton regard fuyant, dans tes mots prudents : je sens le poids de ce pardon que je n'ai jamais formulé, qui a tué notre complicité... notre confiance.

Je te demande pardon, Eliott.

Pardon pour ces années de prison que tu partages avec nous, à ta façon.

Pardon pour mes reproches, qui ne sont que le reflet d'une sourde inquiétude dont je suis entièrement responsable.

Pardon pour cette épreuve que je t'impose, pour la désillusion que je te cause, pour tout ce que je te dois et que je n'arrive plus à te donner.


J'ai fait des belles choses dans ma vie.

J'en ai fait de très laides aussi, et elles pèsent si lourd...

Ce que j'ai fait de plus beau, Eli, c'est toi, c'est ton frère.

Je vous aime de tout mon cœur aigri, de toute ma tendresse froissée.

Je vous aime.

Profondément.


J'ai été ton modèle pendant vingt ans, tu es le mien aujourd'hui.

Je suis incapable d'exprimer ma reconnaissance pour le pilier que tu es devenu.

Elle est trop grande, elle m'étouffe.


Eli, mon garçon, la route me semble encore si longue vers la liberté.

Tant que ma peine se comptera en années, je crains d'avoir encore, par moment, des accès de colère.

Mais grâce à toi, j'ai enfin une raison de me réjouir.


L'autorisation m'a été donnée de sortir trois jours pour votre mariage.

Je serai là, à tes côtés.

J'en pleure.


Si tu savais comme j'ai eu peur de devoir rester enfermé ce jour-là.

Si tu savais, Eliott, si tu savais comme j'ai redouté un refus...

Tu as pris mon silence pour de l'indifférence. On ne se comprend jamais très bien, dans cette fichue prison. Toutes les voix y prennent un accent de malheur, de trahison, de rancœur. C'était de l'angoisse.


Vous me manquez tellement.

Les minutes me semblent vides sans vous, et il en reste tant à écouler.

En voilà quelques unes que je passerai enfin pleinement avec vous.

J'ai bien peur de beaucoup pleurer à ce mariage, mais je te le dis avant que tu ne te méprennes : ce seront des larmes de joie.


Dis-moi vite, fils : quelle couleur pour les nœuds papillon ?


Embrasse Léonie pour moi.

Papa

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