Qui goûte au silence sait l’orgueil et les luttes
Qu’il a dû écraser pour y trouver la paix.
Comme un violon précieux que le temps userait,
Ainsi l’homme s’égare à en perdre son Ut,
Mais comme il a joué de sublimes concerts,
Il peine à se confier aux mains de son luthier :
Quand on touche ses cordes, il se cabre, effrayé
Qu’on puisse modifier ce qu’il a de plus cher.
Il résiste longtemps : il est fier de sa gamme,
Même si, il l’admet, elle vibre un peu faux
Dans son âme blessée, ses affreux oripeaux
Qu’il regarde vieillir, impuissant à ce drame.
Et puis, il observe ce vieux maître luthier,
Ses gestes délicats et ses mains caressantes ;
Il pense que lui seul comprendrait ses attentes,
Qu’il pourrait lui confier le soin de l’accorder.
Voilà que l’artisan se penche alors sur lui,
Il effleure une corde, ose la resserrer,
Et le violon gémit à ce simple toucher.
Le luthier, désolé, s’interrompt à ce cri,
Tendre et compatissant, il vient le consoler.
L’instrument, en ces mains, reprend force et courage :
Il demande à nouveau son assistance au sage
Qui, encore, le blesse en voulant l’accorder.
Des franches résistances aux grands actes de foi,
Le violon offre tout : les cordes et les éclisses,
Le chevalet et l’âme, son talent, ses abysses,
Chaque fois gémissant d’avoir posé ces choix.
Mais quand enfin le maître, achevant son travail,
Lui déclare, joyeux, qu’il est prêt à jouer,
Quand il saisit l’archet pour lui faire chanter
D’augustes symphonies, le bon violon tressaille !
Il jubile, exulte, tout à cette splendeur !
Rend grâce à l’artisan qui a refait son âme,
Promet qu’il ne jouera jamais sans lui sa gamme
Puisqu’il l’a ramené à ces accords majeurs.
- Les Symphonies du Silence -
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